De la méthode.

Je suis tombé sur cet article en ligne qui semble proposer une piste de réflexion quant à l’organisation des projets de recherche. Il s’agit de reprendre un modèle d’organisation issu de l’entreprise (les méthodes Agile) cherchant à évaluer régulièrement l’avancement du projet, les pistes à explorer, de manière à partir d’un schéma simple qui peut se complexifier ensuite. Si ce type d’approche ne s’avère pas trop lourde à transposer au monde de la recherche – l’article propose de former des comités similaires aux comités de thèse, ce qui me parait trop rigide, pour ne pas dire “chiant” tant les comités de thèse peuvent parfois passer pour d’aimables fumisteries – elle pourrait s’avérer utile pour étaler l’effort dans le temps au lieu de ces pics de procrastination suivie de panique que tout chercheur a pu expérimenter.

Par ailleurs, au-delà même des projets de recherche, ce type d’organisation pourrait s’appliquer  à la formation de groupes d’influence au niveau politique, afin d’organiser la pression sur les décideurs public et privés pour soutenir la recherche fondamentale. Une forme de lobbying pourquoi pas…

Au passage, notons l’inutilité, voire l’escroquerie, chronique de l’AFNOR. En hommage à ce grand organisme, je vous laisse aux bons soins de Boris Vian, qui s’y ennuya un temps:

“Nous avons par exemple, dans un domaine aussi différent de celui-ci que peut l’être celui des chemins de fer, cherché un équivalent au mot anglais «wagon». Nous avons réuni une Commission technique et après un an de recherches, ce qui est peu si l’on considère que les tirages de documents, les réunions et l’enquête publique à laquelle nous soumettons nos projets de Nothons abrègent notablement la durée effective des travaux, en somme, nous avons abouti à l’unification du terme «voiture». Et bien ! n’est-ce pas, le problème est analogue ici, et nous pourrions, je crois, le résoudre de la même façon.”*

Bon dimanche, et arrêtez de reluquer votre belle-sœur ou le jeune vicaire à la messe.

 

*Vercoquin et le Plancton.

Jeux de mains…

La main est un instrument merveilleux, comme l’ont pointé certains grands penseurs.

L’une des caractéristiques de la main humaine est qu’elle permet une grande finesse dans le mouvement et procure une meilleure préhension si on la compare à celles des grands singes, tels les gorilles, les chimpanzés ou les orang-outans. Ces caractéristiques se sont développées en même temps que l’usage et la manufacture d’outils. Mais depuis combien de temps les singes que nous sommes sont-ils capables d’utiliser régulièrement leurs mains de la sorte?

Si l’on se penche sur nos ancêtres du genre Australopithecus, qui arpentaient l’Afrique de l’Ouest entre 4 et 2 millions d’années avant notre ère, on observe que leurs mains présentaient des caractéristiques hybrides de celles des grands singes et des humains modernes. Cependant, il existe peu de preuves directes d’une utilisation d’outils importante à cette époque. Du fait de la persistance de caractéristiques archaïques, le débat quant à la capacité de ces ancêtres à disposer d’une force manuelle cohérente avec le maniement d’outils semblait s’éterniser.

L’étude* parue dans Science que je m’apprête à présenter ici m’a paru élégante car elle a usé d’un moyen détourné pour répondre à cette question. Les os sont soumis à des pressions : un fémur humain est soumis à une pression longitudinale du fait du poids du corps par exemple. Certaines structures, les trabécules osseuses (du latin trabes, poutre), forment des sortes de piliers dont l’orientation et la densité dépend de la pression subie localement par l’os : plus les chocs et les contraintes sont fréquents, plus la connectivité et le nombre de ces structures augmente.

Dans le cas qui nous préoccupe, les chercheurs ont dans un premier temps comparé la répartition de ces trabécules dans les métacarpes du chimpanzé et de l’Homme moderne. Les métacarpes sont les os qui constituent la paume de la main et supportent les phalanges. Les chimpanzés, du fait des pressions continues liées à leur mode de locomotion arboricole et leur quadrupédie, montrent une densité de trabécules importante et assez homogène, notamment au niveau du contact entre phalanges et métacarpe. En revanche l’Homme actuel présente une densité beaucoup plus hétérogène, cohérente notamment avec les fortes pressions générées par l’opposition du pouce aux autres doigts lors de la préhension et de la manipulation d’outils.

On devine aisément l’étape suivante de l’étude : les chercheurs ont alors effectué les mêmes mesures sur des fossiles de métacarpes d’Australopithèques. Et ont pu montrer que bien que ceux-ci présentassent toujours une densité relativement importante de trabécules, cohérente avec leur mode de vie partiellement arboricole, ils présentaient des caractéristiques identiques aux mains actuelles. Ceci suggère qu’en dépit de caractéristiques archaïques, les Australopithèques étaient déjà capables de manier et tailler des outils, repoussant de 500 000 ans la date auparavant proposée.

La morale de cette histoire, la lirette, c’est qu’en science comme en amour, on obtient le plus souvent la réponse recherchée en adoptant un angle d’attaque différent.

Sur ce, je vous laisse, j’ai apéro, et je compte bien utiliser les facultés préhensiles supérieures de ma main pour me saisir de quelques petits fours gratuits.

P.S. Pour ceux qui souhaiteraient obtenir le pdf de l’article, je peux le leur passer sur demande (yann.x.c.bourgeois@gmail.com)

 

* Skinner et al. 2014. Human-like hand use in Australopithecus africanus. Science

Non Armstrong, je ne suis pas noir. Première partie.

Avant d’être à Bâle en post-doc, j’ai passé environ quatre années de ma vie à étudier un oiseau endémique de La Réunion, le Zoizo blanc (version créole), ou oiseau-lunettes gris (version métropole). Je m’intéressais notamment aux différentes couleurs de plumage arborées par ce brave petit passereau. Mais en quoi étudier ce polymorphisme peut-il bien présenter de l’intérêt?
Face à cette éternelle question utilitariste (à quoi ça seeeeert?) je me propose cher lecteur de t’exposer les ressorts cachés de la mécanique qui produit les panthères noires, les roux, les tigres albinos et les chouettes couleur rouille… Il s’agit d’une longue histoire que je découperai en plusieurs posts.

flamandsCe post ne concerne pas les flamants roses puisque leur couleur provient des carotènes qu’ils ingèrent en farfouillant la vase pour dévorer des crevettes et des algues. Dégueulasse.

Je me suis principalement intéressé aux pigments que l’on nomme mélanines (il en existe d’autres, comme les caroténoïdes qui donnent sa couleur rose au flamant… rose; c’est bien vous suivez). La cellule qui produit ces pigment se nomme mélanocyte. Située entre le derme et l’épiderme, elle agit comme un dealer refourguant sa dope à une petite troupe de quelques dizaines de cellules que l’on appelle kératinocytes, des cellules productrices de kératine qui formeront poils, plumes, peau etc. La dope en question, ce sont les mélanosomes, des compartiments intracellulaires bourrés de pigment. On peut distinguer deux types principaux de pigments: l’eumélanine et la phéomélanine, qui dérivent tous deux du même précurseur : la dopaquinone. D’où la blague sur la dope. Avouez, vous êtes hilares derrière votre écran. Bref. La dopaquinone dérive elle-même d’un acide aminé, la tyrosine.

En quoi ces deux pigments sont-ils différents? L’eumélanine est un pigment sombre, tandis que la phéomélanine est un pigment jaune orangé. Les mélanocytes en produisent des quantités variable, et ce sont les proportions relatives de ces pigments qui déterminent la couleur d’un poil par exemple. Si beaucoup de phéomélanine est générée par rapport à l’eumélanine, on obtiendra un cheveu blond, voire roux. A l’inverse, les cheveux ou les peaux sombres sont riches en eumélanine. Il est à noter que l’eumélanine protège davantage des ultraviolets, ce qui explique d’ailleurs en partie que sous les tropiques la peau soit plus foncée. Chez les oiseaux, les mélanines rendent les plumes plus résistantes à l’abrasion, aux parasites ainsi qu’aux bactéries dégradant la kératine.

On commence déjà à discerner un intérêt dans l’étude des variations de couleur de peau/poil/plume (que l’on regroupe sous la dénomination de phanères): elles peuvent être associées à des adaptations environnementales. De plus, il est relativement aisé de caractériser les variations de coloration au sein d’une même espèce du fait de leur visibilité. Ce qui rend les polymorphismes de couleur si intéressants, c’est qu’ils permettent au biologiste de faire le lien entre un mécanisme sélectif (par exemple l’intensité des UV selon la latitude ou l’altitude) et un mécanisme physiologique. Ce type d’étude est capable de mieux nous faire comprendre les pressions qui agissent sur la physiologie et comment les organismes sont capables d’y répondre. On peut trouver ça abscons, mais l’objectif final est de réussir à mettre en évidence des lois, des patrons qui se répètent: trouve-t-on toujours les mêmes gènes, les mêmes “outils”, derrière l’adaptation aux changements environnementaux? Ou les organismes disposent-ils d’un éventail illimité de possibilités pour y faire face? Tentative de réponse aux prochains posts!