Lettre I
Yann à Isabelle
A Sydney.
Voilà maintenant un peu plus de trois semaines que j’ai retrouvé les terres arides de la péninsule arabique, et la chaleur commence à peine à refluer sous le niveau des quarante degrés. Combien étrange est ce pays où les cieux semblent si insensibles que leur moindre pleur est accueilli avec stupéfaction. La chaleur est si intense que même les récifs de corail, pourtant supposés être des plus résistants à ces manifestations thermiques, blanchissent et dépérissent. Comme toute évasion des immeubles réfrigérés semble plus proche de la visite d’un calorifère en marche qu’à une innocente promenade, c’est à peine si les gens marchent à l’air libre. Sans compter que les distances entre lieux de détente et d’habitation requièrent l’usage massif des véhicules motorisés ; et en l’absence d’un système de transports en commun digne de ce nom, ce sont des armées de taxis qui transhument régulièrement. Comme biologiste de l’évolution, j’en viens d’ailleurs à craindre qu’il n’y ait plus très loin de la situation actuelle à la disparition totale des membres inférieurs. Une alternative serait peut-être une division de la fonction de locomotion entre différentes castes de travailleurs, les uns portant les autres sur leur dos. Je parierais sur une transformation des populations immigrées du sous-continent en propulseurs motorisés, tandis que les occidentaux muteraient en rémoras. J’y reviendrai dans une prochaine lettre.
Pour le reste, la vie suit son cours paisiblement, entre travail et loisirs. J’ai récemment assisté à un conférence sur Islam et Évolution darwinienne. Il est toujours fascinant de voir un homme, dont tout indique qu’il sait raisonner par ailleurs, tenter désespérément de résoudre un problème qui ne devrait pas en être un, citant moult sourates pour en tirer une interprétation cohérente avec les travaux de Darwin et de ses successeurs. Une collègue, visiblement perplexe, ne put s’empêcher de remarquer que si la religion se contente de proposer pourquoi et que la science cherche à décrire comment, il ne devrait guère y avoir d’incompatibilité, chacun s’occupant de ses oignons. Rendre à César et à Dieu leurs dus respectifs en somme. Je serais tenté de développer la chose en termes plus acrimonieux, mais ce serait peu judicieux en ces terres orientales où chaque mot se doit d’être soigneusement pesé.
La religion est une chose fascinante. Bien sûr, ce sont là des questions que notre beau pays de France ne risque pas d’avoir à poser tant les Lumières qui y brillent sont le phare guidant les Hommes vers un avenir radieux. N’est-ce pas ?
Adieu ma chère sœur ! Je t’assure de mes sentiments fraternels. Puisses-tu me conter tes aventures en ces terres australes où tu résides désormais.
D’Abou Dhabi
Le 23 septembre 2017.