Non Armstrong je ne suis pas noir. Deuxième partie.

Il y a un peu moins d’un mois, j’introduisais une série de posts visant à expliquer en quoi le scientifique qui cherche à savoir pourquoi certains animaux sont blonds et d’autres roux n’est pas seulement un doux dingue. Dans cette introduction j’expliquais brièvement la nature des pigments dits mélaniques. Je posais également une question qui vaut non seulement pour les polymorphismes de couleur, mais également pour toutes sortes d’autres traits. La question pouvait se résumer ainsi: existe-t-il différentes manières d’obtenir la même chose? Si, plaçant mon trône au-dessus des étoiles de Dieu, je me fais démiurge et désire créer un être aux cheveux de flammes et au front blanc, quels interrupteurs puis-je actionner sans obtenir un misérable avorton? Pour mieux comprendre, je vais aujourd’hui entrer un peu plus dans le détail des mécanismes physiologiques qui conduisent aux changements de couleur entre individus. Je commencerai par remercier nos amies les souris de laboratoires, dont le sacrifice de plusieurs générations de mutants a permis de reconstituer le fil de l’histoire qui va suivre.

Nous avons vu précédemment que les pigments sont produits au sein de cellules de la peau nommées mélanocytes. Ces cellules n’ont pas toujours eu leurs quartiers entre derme et épiderme. En effet, au stade de l’embryon, leurs ancêtres ont prospéré et se sont multipliés à proximité d’une structure située dans le dos que l’on nomme poétiquement “crête neurale”. Ces ancêtres adolescents, que l’on nomme mélanoblastes, n’étaient pas encore complètement mûrs, mais ont développé leurs caractéristiques de cellules productrices de pigment puis couvert l’ensemble du derme sous l’effet d’un cocktail savamment dosé de molécules messagères et de composés divers dont je vous passe le détail. Le dosage de ces molécules est néanmoins extrêmement fin, et la moindre anomalie est susceptible de faire capoter le processus. Par exemple, si certains récepteurs de ces composés (par exemple le récepteur Kit, oui Michael) sont anormaux, il en résulte non seulement des changements de couleur, mais également des anémies. Ceci est dû au fait que ces récepteurs apparaissent non seulement à la surface des mélanoblastes, mais aussi des ancêtres d’autres lignées cellulaires qui elles sont impliquées dans la synthèse des globules. D’autres anomalies à ce stade peuvent engendrer l’albinisme, lorsque les cellules n’interprètent pas correctement le signal de migration et ne colonisent pas la peau.

Une fois la migration des mélanocytes achevée, la pigmentation est contrôlée par des hormones qui présentent l’intérêt d’être impliquées dans de nombreux processus physiologiques autres que la coloration. Ces hormones ont pour nom mélanocortines, et sont synthétisées par une petite glande sous le cerveau, l’hypophyse. Elles interagissent notamment avec cinq récepteurs assez ressemblants (ils sont “cousins” si on regarde des millions d’années en arrière, le terme adéquat est “paralogue”) que l’on nomme en anglais Melanortin Receptors et qu’on numérote de 1 à 5, ce qui donne MC1R, MC2R, MC3R etc. Parmi ces cinq récepteurs, seul MC1R est exprimé à la surface du mélanocyte. Les autres récepteurs se retrouvent quant à eux dans un grand nombre de tissus et organes tels que les tissus adipeux, le système nerveux, les bijoux de famille, le cœur, le système immunitaire ou les glandes surrénales. C’est dire que leur rôle est majeur.

Voilà pour le côté lumineux de la Force. Mais ces récepteurs sont également affectés par le côté obscur, ici représenté par une molécule nommée Agouti car elle donne aux souris qui en expriment une forme inactive une couleur jaunâtre qui rappelle celle de l’agouti, un mammifère sud-américain. Le maître Agouti marche aux côtés de son apprenti, “Agouti-related protein” (AGRP). Les deux compères se partagent les tâches: Agouti s’occupe surtout des récepteurs du mélanocyte, tandis qu’AGRP semble plutôt tyranniser les petits gros du tissu adipeux et les intellos du système nerveux. De plus, ces molécules ne sont pas exprimées partout de la même façon, ce qui peut conduire à des changements de couleur entre différentes parties du corps.

bâle0207Cet individu présente un récepteur aux mélanocortines très sensible, ce qui conduit à une production élevée de pigments sombres. Par ailleurs, placer un chat sur ce blog devrait contribuer à en augmenter le trafic. C’est mesquin.

 

L’interaction d’Agouti avec MC1R conduit à une production accrue de phéomélanine (le pigment orangé) tandis que l’interaction avec les mélanocortines conduit à une synthèse d’eumélanine (pigment sombre). Avec beaucoup d’Agouti on peut même inhiber la synthèse de pigments. Mais comme ces molécules interagissent également avec les autres récepteurs MCR, elles ont un impact beaucoup plus général sur la physiologie que la seule synthèse de pigments. Ainsi, un certain nombre d’études ont montré que les individus exprimant beaucoup de mélanocortines tendent à être à la fois plus sombres de peau, plus agressifs, plus résistants et stockent moins de gras. Ce qui fait beaucoup d’effets secondaires, effets que l’on qualifie de pléiotropiques. Précisons néanmoins (car nous vivons dans un triste monde où il faut encore le rappeler) que les changements de couleur de peau chez l’Homme sont dus à des mutations sur le récepteur MC1R, et n’affectent ainsi que la couleur de peau sans affecter le reste.

Enfin, au sein du mélanocyte, on peut distinguer les mécanismes liés à la production des pigments de ceux impliqués dans la formation et la migration des structures contenant ces mêmes pigments. Ces derniers mécanismes lorsqu’ils sont perturbés conduisent à un mauvais acheminement des pigments et peuvent produire des tons plus pâles.

Tout ceci n’est qu’un aperçu. Chez la souris de laboratoire on connait environ 150 gènes impliqués dans la cascade que je viens de vous décrire. Les mutations de ces gènes occasionnent souvent des effets secondaires majeurs, voire létaux. Ce qui veut dire que dans la nature, il n’est pas certain que ces 150 gènes soient réellement “utilisés”. C’est ce dont je discuterai au prochain post!

 

P.S. Si vous voulez en savoir plus sur la manière dont les volatiles voient les couleurs, allez consulter la page de cet excellent confrère…