Jeux de mains…

La main est un instrument merveilleux, comme l’ont pointé certains grands penseurs.

L’une des caractéristiques de la main humaine est qu’elle permet une grande finesse dans le mouvement et procure une meilleure préhension si on la compare à celles des grands singes, tels les gorilles, les chimpanzés ou les orang-outans. Ces caractéristiques se sont développées en même temps que l’usage et la manufacture d’outils. Mais depuis combien de temps les singes que nous sommes sont-ils capables d’utiliser régulièrement leurs mains de la sorte?

Si l’on se penche sur nos ancêtres du genre Australopithecus, qui arpentaient l’Afrique de l’Ouest entre 4 et 2 millions d’années avant notre ère, on observe que leurs mains présentaient des caractéristiques hybrides de celles des grands singes et des humains modernes. Cependant, il existe peu de preuves directes d’une utilisation d’outils importante à cette époque. Du fait de la persistance de caractéristiques archaïques, le débat quant à la capacité de ces ancêtres à disposer d’une force manuelle cohérente avec le maniement d’outils semblait s’éterniser.

L’étude* parue dans Science que je m’apprête à présenter ici m’a paru élégante car elle a usé d’un moyen détourné pour répondre à cette question. Les os sont soumis à des pressions : un fémur humain est soumis à une pression longitudinale du fait du poids du corps par exemple. Certaines structures, les trabécules osseuses (du latin trabes, poutre), forment des sortes de piliers dont l’orientation et la densité dépend de la pression subie localement par l’os : plus les chocs et les contraintes sont fréquents, plus la connectivité et le nombre de ces structures augmente.

Dans le cas qui nous préoccupe, les chercheurs ont dans un premier temps comparé la répartition de ces trabécules dans les métacarpes du chimpanzé et de l’Homme moderne. Les métacarpes sont les os qui constituent la paume de la main et supportent les phalanges. Les chimpanzés, du fait des pressions continues liées à leur mode de locomotion arboricole et leur quadrupédie, montrent une densité de trabécules importante et assez homogène, notamment au niveau du contact entre phalanges et métacarpe. En revanche l’Homme actuel présente une densité beaucoup plus hétérogène, cohérente notamment avec les fortes pressions générées par l’opposition du pouce aux autres doigts lors de la préhension et de la manipulation d’outils.

On devine aisément l’étape suivante de l’étude : les chercheurs ont alors effectué les mêmes mesures sur des fossiles de métacarpes d’Australopithèques. Et ont pu montrer que bien que ceux-ci présentassent toujours une densité relativement importante de trabécules, cohérente avec leur mode de vie partiellement arboricole, ils présentaient des caractéristiques identiques aux mains actuelles. Ceci suggère qu’en dépit de caractéristiques archaïques, les Australopithèques étaient déjà capables de manier et tailler des outils, repoussant de 500 000 ans la date auparavant proposée.

La morale de cette histoire, la lirette, c’est qu’en science comme en amour, on obtient le plus souvent la réponse recherchée en adoptant un angle d’attaque différent.

Sur ce, je vous laisse, j’ai apéro, et je compte bien utiliser les facultés préhensiles supérieures de ma main pour me saisir de quelques petits fours gratuits.

P.S. Pour ceux qui souhaiteraient obtenir le pdf de l’article, je peux le leur passer sur demande (yann.x.c.bourgeois@gmail.com)

 

* Skinner et al. 2014. Human-like hand use in Australopithecus africanus. Science