Carte postale. Dubaï.

Burj_Khalifa

 

Le Burj Khalifa, initialement baptisé Burj Dubaï, est la plus haute tour du monde. Huit-cent-vingt-neuf mètres de verre et d’acier s’élancent vers les cieux, presque blasphématoires, et viennent chatouiller les pieds d’Allah. Et comme une tour de Babil, monte de ses pieds le brouhaha d’une foule bigarrée parlant mille langages de la Création. Cette Babylone cosmopolite vous frappera par le contraste entre la magnificence et la rigidité d’un édifice colossal, et l’aspect flasque des primates qu’il domine.

Ici, on ne peut manquer d’être frappé par cette propriété curieuse de certaines sociétés humaines. Plus leurs constructions sont grandioses et plus ceux qui y vivent semblent empreints de petitesse. Plus leurs édifices sont rigides, plus leurs corps semblent apathiques. Plus leur architecture s’élance, plus leurs esprits se recroquevillent.

Servis par une armée de serveurs philippins et conduits par une horde de taxis pakistanais, vous aurez tout le loisir de vous empiffrer de plats de tous pays. Abstenez-vous néanmoins de toute consommation de spiritueux. Ceux-là sont réservés aux enceintes des restaurants.

Dans l’un de ces restaurants justement, un touriste saoudien et sa famille ergotent sur la qualité des plats libanais, laissant éclater tout leur mépris face à un serveur obséquieux. Là-bas, contemplez cette horde de jeunes adultes prenant des airs de jet-setters. Vous n’échapperez bien-entendu pas aux éternelles perches à autoportraits, menaçant de vous éborgner au gré de l’incurie de leurs détenteurs. Voyez ces hommes et femmes d’affaires glacés et impavides qui prennent l’air important tandis qu’ils consultent frénétiquement leur téléphone. Contemplez l’impolitesse de touristes ventrus méprisants, dépensiers pour leur plaisir, mais par ailleurs si radins que la possibilité même d’un pourboire au chauffeur harassé de leur taxi glisse sur leurs âmes croupies. Et si vous décidez, quittant la ville, de suivre ceux qui conduisent, admirez l’opulence et le caractère racé et agressif de leurs bolides fonçant sur des routes à deux fois trois, quatre, cinq voies.

Regardez, scrutez, prenez le temps. Ne vous laissez pas distraire par les jeux d’eau des fontaines qui périodiquement s’enclenchent et suscitent l’admiration des foules tout en entonnant des reprises de chansons italiennes. Si vous êtes assez attentifs, vous verrez au loin sur un chantier quelques ouvriers prendre une pause et fuir le soleil écrasant. Peut-être parlerez-vous à votre chauffeur. Aux pieds mêmes de la démesure, en dépit des prétentions morales de rigueur et de frugalité, vous comprendrez combien les vies des puissants et des faibles sont distinctes. Distinctes au point de ne jamais vraiment se croiser, les uns jouissant d’une oisiveté assimilée à un art de vivre, les autres ramassant les miettes plus ou moins grosses, plus ou moins appétissantes, d’un gâteau donc la seule existence ne tient qu’à des sommes d’intérêts bien compris.

Et tout près de là, insouciant et éternel, le désert attend.