Non Armstrong je ne suis pas noir. Troisième partie.

Chers lecteurs,

Après près de deux mois d’inactivité et d’hiver, voici venir les temps où reprend vie ce blog, vibrant sur le fil éthéré du réseau. Puissiez-vous me pardonner l’irrégularité de mes publications.

Nous avons donc vu quels différents mécanismes étaient responsables de la pigmentation mélanique : différenciation de cellules souches en cellules productrices de pigment, migration vers les tissus de la peau, production et transport des différents types de pigment vers les kératinocytes. Mais, sortant du laboratoire et des croisements de souris, que savons-nous du rôle de ces mécanismes dans l’adaptation des populations naturelles ?

Les premières études réalisées se sont principalement concentrées sur un gène, celui codant pour le récepteur MC1R. Cet intérêt pour ce récepteur était motivé par des raisons à la fois pratiques et théoriques : il s’agit d’une séquence d’ADN de petite taille – environ 1000 bases, ces molécules notées A,T,C,G dont trois milliards composent le code génétique des humains – qui est facile à étudier avec peu de moyens. Par ailleurs, il ne semble pas être impliqué dans des mécanismes autres que la production de pigments, contrairement à d’autres gènes qui régulent de nombreux aspects de la physiologie (voir post précédent). Ce dernier trait est important, car il implique que les effets d’une mutation sur ce gène n’affectent que la couleur, s’accompagnant de peu d’effets secondaires potentiellement néfastes. L’hypothèse est donc que ce gène devrait souvent intervenir dans de nombreuses espèces présentant des variations de mélanisme.

Au fil des ans, une abondante littérature scientifique a vu le jour, témoignant du rôle important de ce marqueur. Des mutations sur ce récepteur sont trouvées aussi bien chez les oies, les chiens, les poulets, les souris que chez le mammouth. De manière frappante, c’est la même mutation qui est apparue indépendamment chez la souris américaine Peromyscus polyonotus et le mammouth, mutation responsable d’une couleur plus claire des poils. Ces études ont permis de faire le lien entre pression de sélection environnementale et changements de la séquence ADN. Car si nous parlons ici de couleur, il faut garder à l’esprit que l’objectif de tout ceci est de faire le lien entre gènes, traits et environnement et d’en dégager des « lois » générales s’il est possible d’en trouver. Dans le cas de la souris américaine, les mutations sur MC1R sont liées au mimétisme : cette espèce se rencontre à la fois sur les plages de sable blanc à l’Ouest de la Floride et dans l’intérieur des terres. Les populations des plages sont beaucoup plus claires que celles des terres, ce qui leur permet de se fondre dans le décor beaucoup plus facilement. Une expérience menée par le laboratoire d’Hopi Hoekstra a d’ailleurs illustré ce phénomène de manière amusante : en disposant des souris de plâtre colorées sur les plages et dans les terres, ces scientifiques ont pu montrer que les souris présentant la « mauvaise »  couleur étaient davantage « croquées » que les autres.

Peut-on donc dire que les variations d’un trait sous sélection naturelle tendent à être sous le contrôle d’un petit nombre de gènes « optimaux » aux effets secondaires minimes ? L’abondance de résultats sur MC1R pourrait occulter le fait que peu d’autres gènes ont été étudiés jusqu’à une période récente. Par ailleurs les résultats négatifs, qui ne témoignent pas d’une association entre couleur et mutation dans cette séquence, sont généralement plus difficiles à publier et souffrent donc d’un manque de visibilité. De la même manière que l’on cherche ses clés sous le lampadaire parce que c’est le seul endroit éclairé, il s’est créé un biais consistant à attribuer à MC1R un rôle peut-être exagéré. Nous verrons prochainement qu’il existe d’autres mécanismes, parfois encore mal compris, qui peuvent permettre à d’autres gènes d’intervenir. Suspense insoutenable je sais…