Le repenti.

La bêtise c’est de la paresse. La bêtise c’est un type qui vit, et il se dit : ça me suffit. Ça me suffit. Je vis, je vais bien, ça me suffit. Jacques Brel.

 

Il était une fois, dans une forêt fort lointaine, un nid bien douillet.

Dans ce nid deux oiseaux rouges attendaient qu’éclose un œuf. L’œuf leur paraissait bien étrange, puisqu’il était vert. Et dans le monde où poussait cette forêt, les oiseaux rouges pondaient des œufs rouges. C’était évident et bien ainsi.

Hormis cette bizarrerie, les deux oiseaux étaient bien contents. Ils ne voyaient dans cette étrange couleur qu’un petit accident sans grande importance. Et lentement s’égrenaient les heures, et l’œuf s’emplissait de vie, et finit un beau jour par éclore. Les parents gazouillaient de bonheur. Mais ce qu’ils virent alors leur coupa le sifflet.

Le poussin était aussi vert que sa coquille. Et cela n’était pas acceptable. Un œuf encore, on peut bien lui permettre quelques originalités, ce n’est qu’une coquille, et les coquilles ne se montrent pas dans le monde. Mais un poussin vert, on peut difficilement le cacher à la famille et aux amis. En somme, c’était une terrible honte.

Alors qu’ils étaient encore abasourdis, le poussin vert commença derechef à pépier. Et il criait: “J’ai un rêve, j’ai un rêve! Je veux voyager et faire de grandes choses!” Mais les oiseaux rouges ne sont pas des albatros, les voyages et les rêves leur répugnent. Heureusement ils sont très attachés aux valeurs familiales, et bien que souffrant d’avoir un enfant si original et monstrueux, ils ne purent que se résoudre à l’élever, la mort dans l’âme. Le père songea bien à reprocher à sa femme son amitié passée avec un oiseau de passage, mais songea devant la mine dévastée de sa compagne qu’il était peu probable que sa cocotte l’eût cocufié en cajolant ce coucou.

L’oisillon grandissait et prétendait vouloir comprendre le monde. Il voulait raconter des histoires, et prétendait qu’un jour il volerait au dessus de la cime du vieux chêne qui régnait au plus profond de la forêt. On l’envoya donc à l’école pour le débarrasser des coquecigrues qui passaient par sa tête de linotte. L’oiseau vert s’avéra très doué en classe, et ses camarades ne l’aimaient guère. Souvent on se moquait de le voir rester seul à l’étude. Alors, lassé, le petit oiseau vert se décida à jouer un peu avec ses camarades. Mais ceux-ci ne l’aimaient pas beaucoup plus.

A la maison, ses parents attendaient l’éclosion d’un nouvel œuf, bien rouge celui-là. Le petit oiseau vert eut rapidement un petit frère, puis une petite sœur, qui devinrent tous les deux aussi rouges que populaires. Ses parents étaient heureux de pouvoir présenter des enfants normaux à leurs amis. C’est à cette époque qu’il rencontra un petit oiseau bleu, seul dans la cour de récréation. Lui disait se moquer de ne pas avoir de plumes rouges car ses parents lui avaient dit qu’il ne fallait pas se laisser influencer par les autres ou avoir honte de ce que l’on était tant qu’on avait un but. L’oiseau vert aimait bien l’oiseau bleu, mais comprenait mal comment il pouvait supporter la solitude.

Un jour le petit oiseau bleu se fit voler dans les plumes. Mais le petit oiseau vert avait peur de se battre et laissa son camarade étendu sur une branche. Dérivant dans le flot des pépiements moqueurs, il s’autorisa à insulter son ami avec le reste. Il eut honte. Pas longtemps, car le soir, il vit percer une plume rouge. Ses parents l’aperçurent le lendemain et le félicitèrent, mettant cette réussite sur le compte de ses efforts pour se sociabiliser. Ses professeurs approuvèrent, mais insistèrent sur le besoin de poursuivre les efforts de participation et d’intégration à la vie de la classe.

Quelques mois plus tard le petit oiseau bleu changea d’établissement pour suivre ses parents à l’autre bout de la forêt. Personne ne les appréciait de toute façon. On semblait les trouver arrogants avec leurs manières exotiques. Ils ne furent guère regrettés. L’oiseau vert raconta qu’il ne fréquentait l’oiseau bleu que pour l’amener à adoucir ses mœurs un peu frustes, et sa mue se poursuivit encore un peu.

Il se relâcha à l’école, ayant découvert qu’il n’avait guère besoin de briller pour être apprécié. Il intégra de nombreux clubs aux buts mal définis mais qui lui permettaient d’avoir toujours plus de relations. Plus son plumage perdait de vert et plus les autres le félicitaient. Il se sentait de moins en moins seul et mettait cela sur le compte de ses talents enfin reconnus.

Il finit par quitter l’école et rencontra une jolie perruche et vécut avec quelque temps. Elle lui rappelait sans cesse le besoin de stabilité pour les jeunes oisillons s’ils en voulaient un jour. “Mais quel drôle d’oiseau que celui qui ne rêve pas d’un adorable poussin?” insistait-elle avec douceur et fermeté. Alors il prit un poste dans l’architecture de nid. Du fait de troubles du voisinage qui allaient croissant, il intégra une patrouille aérienne visant à éliminer les moineaux douteux du dortoir des oiseaux rouges. Son efficacité et son intelligence lui valurent de nombreuses récompenses. Et à chacune il voyait son plumage rougir un peu plus.

L’oiseau vert regrettait cependant de ne pas avoir encore vu le grand chêne qui se tenait au centre de la forêt. Alors après que lui et la perruche eurent fait un beau mariage avec des centaines d’invités qui mangèrent force graines, ils allèrent en lune de miel voir l’arbre vénérable. La perruche trouva que le chêne n’était pas si impressionnant et insista pour ne pas faire de virées trop longues. L’oiseau vert agréa, essentiellement pour ne pas se prendre la tête, comme il devait le confier plus tard à l’un de ses camarades de perchoir. Pour pimenter le voyage, ils firent un safari et virent quelques chats faméliques qui se prélassaient sur les vieilles branches noueuses. Ce voyage les lassa rapidement, et ils rentrèrent au plus vite raconter leur aventure à tous, même ceux qui n’étaient pas intéressés.

Désormais le petit oiseau est devenu un grand rapace du parti des faucons. Il aime à dire qu’il s’est fait tout seul et contre tous, qu’il est revenu de ses illusions de jeunesse. Il lui reste une plume verte, qui le démange beaucoup et qu’il cache soigneusement sous un beau costume rouge. Ses parents sont soulagés, fiers de lui et de leurs petits-enfants. Tous encensent sa réussite. Le calme règne à nouveau dans la forêt.

Epilogue.

Au loin, un oiseau bleu a pris sa volée. Il plane haut, très haut au dessus du chêne centenaire que très peu d’autres oiseaux ont déjà survolé. Il regarde en dessous un moment. Il voit tout autour de la forêt les camions et les tracteurs qui viennent pour la raser. Nul autre que lui ne peut le savoir. Il reprend son ascension. Les nuages lui cachent bientôt le sol. Il rit.

Russie_29