Levers.

Il se lève et rejoint son travail. Il déjeune d’un mauvais sandwich sous cellophane. Il rentre de son travail. Il retrouve une femme pour qui il éprouve de la tendresse. Il dîne sans trop rien dire. Il s’installe devant la télé et peste contre le monde. Il s’endort et ne rêve pas. Il se réveille et ne s’aime pas.

Il se lève tard et fume un joint. Il mélange petit-déjeuner et déjeuner. Il regarde un film pornographique. Il décide de se recoucher. Il entend les bourgeois à la radio et peste contre le monde. Il rêve et ne se réveille pas.

Elle se lève tôt et prépare un café serré dans une cafetière italienne. Elle consulte ses mails. Elle défend ses dossiers face à ses collègues condescendants. Elle part manifester contre la destruction d’un système social. Elle consulte son iPad et peste contre le monde. Elle rentre vidée et sans énergie. Elle s’endort seule bien qu’à deux. Elle analyse mais ne croit plus.

Il ne se lèvera pas aujourd’hui. Une infirmière viendra vérifier les mécanismes qui le maintiennent en vie. Ses petits-enfants ne le verront pas dans cet état. Il n’a plus la force de pester contre le monde. Sa conscience s’éteint en regrettant de n’avoir rien accompli. Ses enfants s’interrogent sur ce qu’il laissera. Il rêve qu’il a laissé quelque chose.

Elle refuse de se lever. Ce convoi de déchets toxiques ne passera pas. Son ami a été tué par des policiers. La voie est coupée. Elle ne peste plus contre le monde. Elle ferme les yeux et espère.

Elle se lève au milieu de la nuit. L’ambassadeur a été assassiné. Elle écoute ses conseillers. Elle voit le grotesque retour du même. Elle croit en l’Etat et en sa grandeur. Elle croit au sacrifice des hommes. Elle n’a jamais pesté contre le monde. Elle rêve de liberté plutôt que de puissance.

Il n’a pas besoin de se lever. Il dort peu, si peu. Il écoute les Variations Goldberg de Bach. Il aimerait avoir du talent. Il contemple la pluie tomber sur ce pays trop gris où tous sont censés avoir bénéficié du progrès. Il rit jaune en lisant les nouvelles. Il s’amuse de ceux qui pestent contre le monde. Il reproche à ses amis leur inconstance qu’il jalouse. Il rêve qu’il n’est pas faible.

Ils n’ont pas envie de se lever. Alors ils s’aiment encore un peu. Ils déjeunent et ne voient pas le ciel gris. Le monde est à eux mais peu leur importe. Ils ont en eux puissance et liberté. Pourquoi encore pester contre le monde? Ils rêvent à de nouveaux horizons.

Il ouvre les yeux et voit le monde pour la première fois. Il ne le comprend pas. Il ne le comprendra jamais par l’esprit. Un jour il le sublimera par le cœur. Il hurle. Il ne sait pas pester contre le monde. Elle pressent qu’il créera du beau. Les autres sont indifférents. Il s’endort sans savoir.